lundi 31 décembre 2018

Rencontre entre l'oenologie et la parfumerie, par Richard Pfister


En novembre dernier, Richard Pfister, œnologue et parfumeur, donnait une conférence sur les liens entre vin et parfum, au musée Fragonard.

Odorat et goût sont liés. Nous percevons le salé, l’amer, le sucré, l’acide et l’umami  grâce à nos papilles gustatives situées dans notre bouche. Les autres nuances des saveurs sont perçues avec l’odorat de façon directe, et par voie retro-nasale (Les molécules passent par l'arrière de la bouche, et remontent en direction des fosses nasales. C'est ce mécanisme qui permet de percevoir, à partir du système olfactif les caractéristiques aromatiques des aliments).

En œnologie, comme en parfumerie, un entraînement particulier permet de reconnaître les odeurs, et de les décrire avec un vocabulaire spécifique. 
Pour l'évaluation sensorielle dans les deux domaines, une dominante va être identifiée (fruitée, florale, épicée, animale…), puis des sous-familles vont être distinguées. Préciser, ensuite, l’ingrédient exact est l'idéal, comme une note fleurie de fleur d’oranger. 
En œnologie, l’entraînement olfactif vise, en premier lieu, à identifier les défauts comme une odeur de bouchon, par exemple.
Ci-dessous une classification pour les facettes des vins, qui présente des similitudes (fruité, floral, animal, épicé, boisé,...), et des divergences avec celles des parfums  (empyreumatique,...) 


L’approche pour le vin est différente, dans la mesure où il n’y a souvent qu’une seule vinification par an, et qu’un ensemble pré-existant est là.
En revanche les buts sont proches : comprendre le produit, en améliorer la qualité, et la communication, afin de mieux vendre !
Près de 1000 molécules organoleptiques sont présentes dans un vin. Déceler les défauts est crucial, afin de prendre les bonnes décisions concernant la cave (réduction/oxydation…), la vigne (stress hydroazoté…), les analyses à réaliser... Caractériser les odeurs positives comme, entre autres, celle du furanéol (odeur de fraise, caramélisée), est important, afin d’avoir une meilleure compréhension de chaque vinification, et de mettre au point une communication, auprès du consommateur ou prescripteur.

Après ces explications, arrive le moment de sentir :
La première touche distribuée est une odeur de café composée par un parfumeur.
La seconde touche est du linalol. C’est une molécule qui se retrouve dans diverses matières premières (fleur d’oranger, lavande, bois de rose, basilic, magnolia, bergamote…), ce qui la rend ambivalente. Pour certains, le linalol évoque la lavande, pour d’autres, la bergamote…Je trouve cela fascinant qu'une même molécule se retrouve dans des ingrédients si divers.
La troisième touche est une essence de poivre noir. Le poivre a des molécules communes avec d’autres épices, aromates, fleurs…et peut, par conséquence, les évoquer sous certains aspects.

Richard Pfister a écrit un livre intitulé « Les parfums du vin », où une page est consacrée à chaque matière première de sa classification Oenoflair :


Page Poivre noir du livre "Les parfums du vin" de Richard Pfister
Puis arrive le moment tant attendu de la dégustation.
D’abord un vin blanc, où sont discernées, au nez et en bouche, la famille dominante fruitée (ananas, fruit de la passion, pamplemousse) et des facettes minérale (pierre de fusil) et végétale (bourgeon de cassis, buis). Le vin est un Touraine Sauvignon.
Puis, vient un vin rouge Côtes du Rhône Crozes-Hermitage, avec une note animale (cuir) dominante. Des notes empyreumatiques (bouleau, caramel), végétale (champignon), épicée (vanille) et fruitée (mûre) sont présentes aussi.
Nous finissons en beauté avec un champagne cépage Chardonnay aux accents agrumes mandarine, végétal lierre et fleuri fleur d’oranger.

Cette conférence donne envie de prendre le temps de distinguer les facettes des vins, de s'y entraîner, afin de mieux les savourer.

vendredi 16 novembre 2018

Dans les champs de Chanel – Jardins, Jardin 2018 aux Tuileries


En juin dernier, il était possible d’avoir un aperçu des champs de fleurs cultivées à Pégomas, par la famille Mul pour les parfums Chanel, lors de l’exposition Jardins, Jardin aux Tuileries. Une incroyable parcelle éphémère de 200 m2 avait été installée, à cet effet, en plein cœur de Paris.

Ce jardin a été une prouesse orchestrée par Olivier Riols, paysagiste. En effet toutes les fleurs ont leur propre cycle, et ont dû s’épanouir à la même date pour cet évènement.

J’ai eu la chance de connaître les champs de fleurs de Pégomas, tout à côté de Grasse, lors de ma formation à l’Institut de Parfumerie de Grasse. C’était magique d’évoluer parmi les rosiers centifolia en mai, de les frôler, d’être entourée de leur parfum, de visiter l’usine où sont obtenus la concrète et l’absolu.

Le champ-jardin installé aux Tuileries m'a remémoré cette belle expérience des champs de Pégomas. 
Lors de la file d'attente, le parfum enivrant du jasmin s’échappait déjà de l'enceinte.



A l’entrée, une guide nous invita à la suivre pour la visite, et nous présenta les fleurs emblématiques cultivées à Pégomas (sur 20 hectares) pour la Maison Chanel : Géranium rosat, Iris Pallida, Rose de Mai, Tubéreuse, et Jasmin.

Au premier plan le géranium rosat, puis les iris, les roses centifolia, les tubéreuses, et le jasmin le long des murs
- La famille Mul est en partenariat avec Chanel depuis plus de trente ans, sur l’initiative du parfumeur Jacques Polge. –

L'essence de géranium rosat est extraite de la feuille. Lors de la visite, ce fut ludique de cueillir une feuille de géranium, de la frotter dans nos mains afin d'en sentir le parfum libéré.
J'étais contente de pouvoir m'approcher des roses centifolia, des tubéreuses et du jasmin, car il y a peu d'occasions, à Paris, de respirer ces fleurs fraîches.
Pour l'iris, ce n'est pas sa fleur qui est utilisée en parfumerie, mais c'est son rhizome, qui, après six années de patience et de travail, développe une richesse olfactive (cf article l'iris en majesté de mai 2018).


Rhizomes d'iris
Dans la bastide attenante au champ-jardin, nous avons pu sentir les extraits : absolu d’iris, absolu de tubéreuse, absolu de rose de mai, essence de géranium. Les absolus et essences évoquent avec puissance les fleurs. En effet, pas moins de 400 kg de rose centifolia sont nécessaires pour obtenir 600 g d’absolu.

Des parfums nous étaient, ensuite, conseillés en fonction de nos affinités pour certaines de ces matières premières d'exception. Gabrielle, parfum crée en 2017 par le parfumeur Olivier Polge, peut plaire, par exemple, à celles attirées par l’absolu de Tubéreuse.

En ces temps, où les parfums sont dits de plus en plus synthétiques, Chanel met en valeur le travail artisanal, et ajoute un supplément de rêve avec ces matières premières naturelles nobles et rares.

lundi 14 mai 2018

"L'Iris en majesté"


« L’Iris en majesté », c’est le titre d’une des conférences thématiques  de l`Osmothèque donnée, avec ferveur, par Bernard Bourgeois, parfumeur, osmothécaire.  Ce parfumeur nous a présenté cette matière première si singulière, et certains parfums des XXème et XXIème siècle, auxquels l’iris a donné tant d’élégance et de noblesse.

Quelques mots sur l’étymologie. Dans la mythologie grecque Iris était la messagère des dieux, l’équivalent féminin d’Hermès. Les poètes prétendaient qu’un arc-en-ciel était la trace laissée par le passage d’Iris sur terre. Le terme iris est associé à la fleur à partir du XIIIème siècle, en raison de la coloration de ses pétales.

Déjà utilisé dans l'antiquité, l'iris revient en France avec les gants parfumés à l'iris de Catherine de Médicis.

Originaire de Macédoine, l’iris est très fréquent dans les régions méditerranéennes.
Le genre iris contient plus de 200 espèces. Deux sont utilisées pour la parfumerie :
-       Iris Pallida cultivé originellement en Toscane, aujourd’hui, aussi, en France (Chanel) et en Chine
-       Iris Germanica cultivé au Maroc
Iris Pallida
Iris Germanica
Ce sont les rhizomes et non les fleurs qui ont un intérêt pour la parfumerie.

En Italie, l’iris pousse dans des sols caillouteux aux terrains pentus, où la mécanisation est difficile. Les fleurs sont plantées entre septembre et octobre. Ce n’est que trois ans plus tard que les rhizomes sont arrachés en été. Ils sont nettoyés, et séchés quelques jours au soleil. Puis, ils sont entreposés dans des sacs de jute pendant trois années supplémentaires, jusqu’à dessiccation complète. C’est au cours de cette dernière longue étape, que les rhizomes développent une molécule : l’irone, constituant déterminant pour la richesse et la densité olfactive.

En Chine, la qualité est irrégulière à cause des 3 années de séchage pas toujours respectées.

Au bout de ses six années au total, les rhizomes sont réduits en poudre. Cette poudre d’iris est infusée dans l’eau avant l’hydro-distillation, qui permet d’obtenir le beurre d’iris ou concrète.
4000 kg de rhizomes frais d’iris pallida sont nécessaires pour obtenir 2 kg de beurre d’iris (teneur en irone : 15%)
Le prix de ce beurre varie de 15 000 à 100 000 euros/kg.
Nous avons eu la chance de sentir ce beurre d’iris pallida, fruit d’une longue attente, au parfum poudré, boisé, terreux, floral violette, persistant, tenace et dense.
Lorsqu’il est produit en Chine, son odeur est davantage cuirée.

Ce beurre d’iris peut évoquer la terre séchée au soleil d’un paysage de Toscane.

Vincent Van Gogh
Le beurre d’iris peut, ensuite, être diluée dans un solvant, puis distillé sous vide, afin d’obtenir l’absolu d’iris. Le rendement de cette dernière étape est de 35%, soit 700 gr d’absolu d’iris obtenu à partir de 2kg de beurre d'iris (teneur en irone : 70%).
Le prix de cet absolu d’iris varie entre 100 000 € et 140 000 €/kg.
L’absolu d’iris a une odeur plus puissante, chaude, rémanente que le beurre d’iris. Son parfum est d’une grande puissance florale avec une facette légèrement fruitée.
L’usage de cet absolu est réservé aux parfums d’exception.

Même ajouté en trace dans un parfum, l'extrait d'iris apporte un effet.

L’iris germanica quant à lui est cultivé au Maroc. La durée de séchage des rhizomes y est aléatoire. Il en résulte une teneur en irone très variable.
Les rhizomes de l’iris germanica, dit iris noir, sont décortiqués, tranchés en lamelles. Pour cette variété d’iris, c’est l’extraction au solvant volatil qui est utilisée pour obtenir le résinoïde d’iris. Le rendement est de 3,8%.
Nous avons pu sentir ce résinoïde d’iris germanica, très différent sur le plan olfactif par rapport à l’iris pallida. C’est une note ronde, une alchimie entre boisé et ambré. Des notes de chocolat amer, et de thé peuvent être perçues également.
Le résinoïde d’iris peut évoquer un parfum de campagne en plein été avec quelques sensations de foin, et de tabac blond.

Puis, nous avons senti des parfums des XXème et XXIème siècles, ambassadeurs de cette superbe note :

-         Après l’Ondée de Jacques Guerlain (1906) – Oriental fleuri épicé
-          L’Heure Bleue de Jacques Guerlain (1912) – Oriental fleuri
-          Iris de Coty (1913) – Soliflore Iris
-          Vent Vert de Balmain (1945) – Germaine Cellier – Fleuri vert
-          Iris Gris de Jacques Fath – (1947) – Vincent Roubert – Fleuri fruité boisé
-          N°19 de Chanel – (1970) – Henri Robert – Floral vert
-          24 Faubourg d’Hermès – (1995) – Maurice Roucel – Fleuri boisé
-          Hiris d’Hermès – (1999) – Olivia Giacobetti – Soliflore iris
-          Iris Silver Mist de Serge Lutens – (1994) – Maurice Roucel – Soliflore iris
-          Dior Homme (2005) – Olivier Polge – Boisé épicé
-          Eau de Gentiane Blanche d’Hermès (2009) – Jean-Claude Ellena – Hespéridé fleuri boisé
-          Misia de Chanel (2015) – Olivier Polge – Fleuri oriental
-          Ambre Cashmere Intense de Nicolaï (2015) – Patricia de Nicolaï - Oriental
-          Le Cri de la Lumière (2017) - Marc-Antoine Corticchiato – Chypré fleuri

C’était sensationnel de pouvoir sentir les versions originelles des parfums les plus anciens, et de découvrir certains parfums extraordinaires, aujourd'hui disparus, comme Iris Gris.
Tous ces parfums sont magnifiques. Mes coups de cœur vont vers Après l'Ondée, Hiris, Dior Homme, et Le Cri de la Lumière.

Merci à Bernard Bourgeois et à l’Osmothèque pour cette conférence passionnante. 

mercredi 31 janvier 2018

Expositions saisonnières au Grand Musée du Parfum


Le Grand Musée du Parfum propose, en ce moment, trois expositions temporaires :


-          Subodore de Chantal Sanier, des parfums imaginés autour de personnages emblématiques de l’histoire de France


-          Parfums de Légende, du designer de flacons Pierre Dinand


-          Méditations sur le parfum du calligraphe Lassaâd Metoui


L’exposition Subodore de Chantal Sanier invite à se plonger dans l’histoire du Palais Royal au travers de 10 parfums créés pour évoquer 10 personnages du XVIIème et XVIIIème siècles, emblématiques de ce lieu.


Les parfums sont installés dans de grandes sphères en terre cuite. En nous inclinant vers ces sphères, nous sommes conviés à vivre des émotions, liées à l’histoire de France.


Ainsi, un parfum d’encens, et de benjoin évoque Richelieu. L’encens rappelle sa vie d’ecclésiastique. Le benjoin a, peut-être, été choisi par l’artiste pour suggérer le goût de l’opulence du cardinal. Une autre sphère nous invite à nous pencher sur l’enfance de Louis XIV. Pour ce parfum, l’artiste a sélectionné des notes de plantes amères pour les temps de solitude du futur Louis XIV, orphelin de père à cinq ans, et le jasmin pour son long règne à venir.


Ces deux histoires olfactives ont particulièrement retenu mon attention.


Le petit livret de cette exposition donne des informations complémentaires.






Une autre exposition présente une collection de flacons dessinés par Pierre Dinand. C’est avec Femme de Rochas en 1957 que la carrière de ce designer commence. M Dinand a créé plus de 1000 designs de flacons en 60 ans de carrière, et exerce toujours son métier. Certaines créations nous sont familières, car ce sont des parfums de légende. Une vidéo du créateur permet de découvrir des anecdotes captivantes sur ces flacons. J’ai trouvé intéressant d’apprendre, par exemple, que le design proposé par Pierre Dinand à Yves Saint Laurent en 1976 est à l’origine du nom du parfum Opium. En effet, le designer a proposé à Yves Saint Laurent un dessin de flacon, inspiré d’un inrô japonais. L’inrô était une boîte avec plusieurs compartiments, portée par les hommes, et notamment les samouraïs à la taille.  Yves Saint Laurent a reconnu la source d’inspiration, et s’est rappelé que les samouraïs y plaçaient des plantes médicinales et, parfois, de l’opium d’où l’idée du nom !



Au second étage sont exposés des tableaux du calligraphe Lassaâd Metoui. Un de ces tableaux « Kansubaki, le camélia sasanqua » trace des correspondances entre parfums et arômes, car les fleurs de camellia sasanqua étaient utilisées pour parfumer le thé vert au Japon. 


Les 7 méditations sur le parfum, livre de Lassaâd Metoui, peut être consulté au deuxième étage et à la boutique, et présente l’ensemble des œuvres de calligraphie de l’artiste autour des parfums. Les tableaux y sont présentés avec des textes d’écrivains et de poètes.


Certaines expositions seront bientôt terminées alors venez vite les découvrir tant qu’il est encore temps au Grand Musée du Parfum !